dimanche 4 février 2007

7 - Un chapitre du "Tapuscript" : comment je suis tombé dedans !

Premières marottes !
Les débuts en amateur dans
le Scoutisme avec mes premiers Lutins - 1948


"Perrine était servante..."



Paris, juin 1948. On préparait les examens de fin d'année au Lycée Louis-le-Grand, mais je trouvais le temps, pour occuper mes loisirs et mes vacances, de me consacrer à l'encadrement d'un patronage du quartier où j'habitais alors, chez mes parents, près de La Motte-Picquet-Grenelle, dans le XVème Arrondissement. Les jeunes (Eclaireurs Unionistes) du Foyer Protestant de la rue de l'Avre, tout proche, m'avaient adopté sans façons. J'y avais trouvé une ambiance sympathique, bien que n'ayant pas la fibre religieuse et n'assistant pas au culte.

Nous étions toujours à la recherche de trois sous pour alimenter les bonnes oeuvres de ce Foyer : aussi, avec les Eclaireurs du quartier, nous avions projeté d'organiser une espèce de kermesse, avec divers stands... vous savez... la pêche à la ligne de canards en celluloïd, la pyramide de boîtes à renverser avec des balles de chiffons, la tombola... Les parents et amis devaient y être invités, nous comptions sur leur générosité pour assurer le succès de cette Fête des Miettes prévue pour le 6 juin.

Avec trois autres co-équipiers, nous avions même envisagé, pour corser un peu la manifestation, de présenter des chansons mimées, éléments infaillibles des feux de camp et fêtes scoutes, et qui venaient d'obtenir leurs lettres de noblesse grâce à quatre jeunes qui commençaient à se faire un nom... Les Frères Jacques ! Nous avions choisi, entre autres, Perrine était servante, cette vieille rengaine qui permettait d'en faire un sketch caricatural. Cela ferait un divertissement que l'on pourrait présenter plusieurs fois dans la journée, dans la grande salle du Foyer.

Cette idée fut acceptée d'emblée. Quelques semaines avant la date fixée, nous commençâmes les "répétition"... disons plutôt les réunions, afin d'en règler une mise en scène acceptable et de déterminer les éléments de costumes. Chacun y mettait beaucoup du sien, d'autant plus que nous ne pouvions nous retrouver que le soir, évidemment, à cause de nos occupations respectives : commerce, administration, études... Non seulement Perrine prenait forme, mais aussi Derrière chez nous et Le Sire de Framboisy, de vieux classiques ! Nous nous amusions beaucoup...

Toutefois l'adversité en avait décidé autrement ! Trois semaines avant la journée attendue, l'un des garçons se brisa bien malencontreusement la cheville : il était trop tard pour trouver un remplaçant au pied levé... c'est le cas de le dire ! Et nous essayâmes de répartir autrement, à trois, nos places et les parties chantées. Quatre jours plus tard, un deuxième se cassa le bras en glissant sur un trottoir ! Et la fatalité n'ayant pas dit son dernier mot, celui qui restait avec moi fut hospitalisé d'urgence, deux jours après, pour une opération urgente de l'appendice. Je me retrouvais donc seul, passablement dérouté, m'étant cependant engagé à présenter une sorte de "divertissement" au cours de la kermesse...

Mais, vous le savez... "scout toujours prêt !", et le hasard (ou serait-ce la fatalité, citée plus haut, qui avait déjà combiné son affaire ?) me mit entre les mains ce petit livre, devenu une Bible pour beaucoup : Comment construire et animer nos marionnettes ?, par Marcel Temporal. L'idée de passer de la chanson mimée à des marionnettes me sembla être une solution de sauvetage. Je me souvenais d'avoir eu, dans mon enfance, un choc théâtral, une sorte de fascinante révélation lorsque ma mère m'avait emmené voir Guignol en Afrique au Théâtre des Marionnettes du Luxembourg, mais je trouvais là, tombé du ciel, un manuel explicatif et illustré permettant à un amateur de trouver des "recettes" pour se lancer dans l'aventure...

Ainsi, tout naturellement, Perrine retrouva sa place de servante sous la forme d'une poupée sans doute malhabile mais efficace, et je complétai le programme avec l'adaptation (très personnelle !) de fabliaux et saynètes du Moyen Age, que nous étions en train d'étudier à Louis-le-Grand. J'en avais choisi deux : Le Dit des Perdrix et La Farce du Cuvier. La distribution n'était pas pléthorique, je pouvais manipuler tous les personnages les uns indépendamment des autres, car il n'y en avait jamais que deux en présence à la fois :

- Perrine était servante : Perrine, son amoureux, le curé.

- Le Dit des Perdrix : la femme, le mari, le curé.

- La Farce du Cuvier : Jacquinot et sa femme.

Les personnages furent rapidement confectionnés de bric et de broc dans des chiffons de récuparation : Perrine devenait les deux autres femmes par un changement facile de coiffure et foulards, Jacquinot jouait aussi l'amoureux par simple ajout d'un chapeau et d'une cape, et le curé... restait le même dans les deux scènes. Suivant les instructions de Marcel Temporal dans son livre, je trouvai moyen de mettre en place une sorte de "castelet", avec des tasseaux dépareillés et de vieux doubles rideaux, mais enfin l'ensemble tenait debout ! Après tout, cela ne devait servir qu'une fois...

Le Hasard et la Fatalité devaient regarder tous ces préparatifs d'un air malicieux, car cette mémorable fois, cette fois bien particulière, mise sur pied pour être unique, allait être bizarrement le point de départ de ma carrière, ce que j'étais bien loin de prévoir...
Mais n'anticipons pas trop vite !

Nous étions enfin le 6 juin : il faisait un temps splendide et la Fête des Miettes battait son plein. Il y avait affluence, les stands attiraient les chalands, à l'ombre des marronniers de la cour. Soudain, coup de sonnette impératif : la première représentation des Marionnettes de Grenelle, dont le nom avait été improvisé en dernière minute, allait avoir lieu. Quelques rangs de public se remplirent pêle-mêle dans la salle qui servait d'habitude au culte, et en avant le spectacle...

Lorsque j'y pense maintenant, je devais être complètement inconscient, dans un état second, provoqué par le désir de remporter le défi, de surmonter le trac, peut-être aussi soutenu par les fameuses "tripes" que j'allais mettre à rude épreuve : toujours est-il que je passais d'un personnage à l'autre, jouant au canevas, c'est-à-dire sans texte appris mais suivant une histoire établie, et faisant alternativement toutes les voix... Sans doute cela manquait-il un peu de discipline, de technique, mais l'objectif était atteint : les spectateurs étaient surpris mais enthousiastes, comme le confirmaient les rires et les applaudissements. A la sortie, les commentaires se propagèrent et il me fallut donner deux autres représentations dans l'après-midi, avec à chaque fois un public de plus en plus abondant... Heureusement qu'il ne s'agissait que d'une seule fois ! A ce moment-là, je ne me doutais pas que cela allait me mener pendant 50 ans à faire le Tour du Monde….